Budo no Nayami

Interview Philippe Grangé, à la recherche de l'Aïki

13 Janvier 2015 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Interviews

Philippe Grangé est un expert dont le nom résonne de plus en plus dans les dojos. Parti au Japon dans les années 80, il y restera neuf ans. Pratiquant avec les élèves directs d'Osenseï à l'Aïkikaï, il étudiera aussi le Shintaïdo, et les arts internes chinois avec le grand maître Su Dongchen.

 

 

Philippe Grange 01

 

 

Quand êtes-vous parti au japon?

Je suis parti pour le Japon exactement le 9 janvier 1984 avec un camarade de dojo, Philippe Chambet. Nous avions tous les deux démissionnés de notre emploi pour partir vivre au Japon, et le départ a été folklorique. Mitterrand avait été élu Président de la République en mai 1981, et pour freiner la fuite de capitaux, certaines lois avaient été promulguées, comme celles de ne plus pouvoir emmener plus de 2500 F en espèces lors de voyage à l'étranger. Je suis donc parti pour Lille, puis par une nuit pluvieuse nous sommes passés en Belgique par une frontière peu fréquentée que Philippe connaissait. Comme il l'espérait, personne ne nous a arrêté. Fort heureusement, car nous avions dans une sacoche dissimulée sous nos vêtements toutes nos économies. La sanction étant la confiscation nous aurions été bien embêtés sans argent et sans travail, et il n'aurait plus été question pour nous de partir au Japon. A Bruxelles, nous avons changé nos espèces en travellers chèques et les avons confiés à une amie. Nous en avons profité pour suivre un stage de Sugano senseï, puis je suis rentré à Bordeaux. Une semaine plus tard, je revenais passer la frontière avec ma valise et 2500 F en poche. 

Le voyage fut long, entrecoupés de nombreuses escales (Bruxelles, Zurich, Djeddah, Bahreïn, Manille, Séoul, Tokyo), passant de la neige au soleil brûlant, puis de nouveau à la neige, mais nous avions l'éternité devant nous. 

 

Pourquoi êtes-vous parti au Japon? Etait-ce pour l'aspect technique de la pratique martiale? Pour la culture? Pour l'ensemble?

Il y eu sans doute plusieurs raisons qui ont motivé ce départ. Voici celles dont je me souviens.

Depuis l'âge de 19 ans (1976), j'étais à fond dans l'Aïkido. A partir de 1980, je fréquentais les stages de quelques français tout juste de retour du Japon après un séjour de plusieurs années. Franck Noël surtout, mais aussi Christian Tissier, Bernard Bleyer, Joël Chemin, Gérard Blaize, et Daniel Vaillant. Les dernières années à Bordeaux, je me faisais vraiment plaisir, mais je m’inquiétais de ce que ma connaissance de l'Aïkido, même en pratiquant quotidiennement comme je le faisais à l'époque, me permette d'atteindre le plus haut niveau.

D'autre part, je m’intéressais comme beaucoup, à la culture extrême-orientale en général, et japonaise en particulier. Je lisais des livres sur le Vietnam, le Japon, le Tibet...

Enfin, l'histoire familiale a peut-être indirectement joué un rôle dans mon départ, car la famille du côté maternel comptait nombre d'ancêtres navigateurs, capitaines au long court, armateurs, négociants, entrepreneurs, inventeurs, jusqu'à que le décès prématuré de mon arrière grand-père Maurice Vigneau en 1911 ne mette fin à tout ça. L'un d'eux était même corsaire, et j'ai hérité d'un tableau de famille ou mon ancêtre Thomas Gosset à bord de sa goélette "l'Enfant trouvé", aborde un trois mâts anglais "l'Hébé" commandé par le capitaine Smith, en 1803 dans les mers du sud (à l'époque, la France et l'Angleterre étaient en guerre). Sur le pont des deux navires, on peut distinguer les deux équipages brandissant sabres et piques, et la fumée des tirs de mousquets qui s'élève! Il est possible que les rares histoires entendues dans mon tout jeune âge aient contribuées plus ou moins inconsciemment, à mon désir de partir vivre au Japon. Ce n'était pas très clair, mais je ressentais un besoin de quelque chose d'autre, d'aventure certainement. 

 

 

Philippe Grangé 05

 

 

C'était votre premier voyage dans l'archipel?

Non, j'avais déjà fait un séjour de 3 semaines à l'Aïkikaï de Tokyo en mai 1981.

 

Partir habiter au Japon n'a pas dû être une décision facile?

Non. Il m'a fallu un certain courage pour prendre la difficile décision de quitter Bordeaux, mon travail, le dojo que nous avions créé en 1982 avec mon premier professeur d'Aïkido, Jean-Paul Drapeau. Je partais à l'aventure, certes, mais c'était dans la louable intention d'étudier une discipline au plus haut niveau. Pour moi, qui suis plutôt prudent et sérieux de nature, c'était une manière de me rassurer avant de faire le grand saut. J'avais une lettre d'introduction de Franck Noël  pour l'Aïkikaï, et un ingénieur français travaillant à Kobe avait accepté de me servir de garant pour l'obtention d'un visa culturel Aïkido, condition sine qua non pour rester plus de 3 mois au Japon.

 

Quels ont été vos sentiments en arrivant au Japon?

Bien que très loin de la France, surtout pour l'époque, je n'étais pas inquiet le moins du monde car l’atmosphère était empreinte de courtoisie et rassurante.

Une chose m'avait frappée. Mis à part l'immensité de la ville bien sûr, tout m'a paru petit au début. Les gens, les maisons, les rues du quartier de Yotsuya où j'habitais les trois premiers mois, les camions de livraison, etc…

Tout était nouveau aussi.  Les gens, la langue, l'odeur si caractéristique du tatami neuf, les portes coulissantes en bois et papier. Les séismes qui étaient nombreux en cet hiver de 1984, et secouaient la maison de bois d'un étage ou une française, Dominique Leclerc, nous hébergeait gracieusement. Elle nous disait en plaisantant que c'était tout le temps comme cela, et qu'il n'y avait aucune raison de s'en faire, alors nous n'étions pas trop inquiets.

Je me souviens du froid aussi, car les maisons n'ont pas de chauffage central et ne sont pratiquement pas isolées. Il y avait la neige que nous devions déblayer à la pelle devant la porte, l'odeur du pétrole que l'on versait tous les jours dans le poêle, les coupes de sake brûlantes, difficiles à tenir mais réconfortantes autant pour les doigts gelés que pour l'esprit.  

 

Je me suis tout de suite senti très bien au Japon. Je ne possédais rien à part une bonne veste d'hiver, de bonnes chaussures et mon keïkogi. Je n'analysais pas, je vivais au présent, il fallait se débrouiller.

 

 

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Un des logements de Philippe Grangé à Tokyo

 


Etes-vous resté longtemps à Yotsuya?

Non, trois mois plus tard j'ai emménagé avec joie, bien que le confort fut très sommaire, dans un quatre tatamis et demi (yojo-han) d'une maison en bois du quartier de Yocho machi, située à peine à 10 minutes à pied de l'Aïkikaï. Il y avait un évier, et une arrivée de gaz sur laquelle on branchait un réchaud à deux feux. Il y avait aussi un grand placard dans lequel, je rangeait le futon (un matelas que l'on pose sur le tatami et une couette) et quelques vêtements. Les portes du placard, mais aussi celle de la pièce étaient en contreplaqué. Il n'y avait ni chauffage central, ni eau chaude, les toilettes étaient sur le palier, et pas de salle de bain non plus bien sûr. J'allais au sento (bain public) du quartier, ouvert de 13 heures à 1 heure du matin. 

En contrepartie, le loyer n'était que de 19,000 yens par mois (un peu plus de 1000 Francs). Je suis resté deux ans dans cette pièce.

 

Vous avez très vite pris vos marques.

Oui. J'éprouvais un sentiment de liberté. J'ai aussi fait la connaissance de quelques camarades qui partageait la même passion que moi, et je me suis fait deux amis, Hubert Chainaye et Christian Foulon qui habitaient le quartier. Ils étaient là depuis plus d'un an et avaient déjà pris leurs marques. 

 

Quels ont été vos premiers sentiments en allant au Hombu dojo?

Au début, l'Aïkikaï, m'a paru triste et impersonnel. Peut-être parce que je suis arrivé le 12 janvier 1984, en plein hiver. Il faut savoir que l'Aïkikaï n'était pas chauffé, que les douches étaient froides...  Avec le retour du printemps, je me suis enfin habitué à cet austère dojo qu'est le Hombu dojo, et c'est avec un esprit plus détendu que je me suis mis à pratiquer avec joie et opiniâtreté. 

 

 

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Quels cours suiviez-vous?

J'ai suivi les cours de presque tous les senseïs: Ueshiba Kisshomaru, Osawa Kisaburo (1940), Tada Hiroshi (1945), Arikawa Sadateru (1947), Yamaguchi Seïgo (1951), Sasaki Masando (1954), Watanabe Nobuyuki (1958), Ichihashi Norihiko (1960), Masuda Seïjuro (1962), Endo Seïshiro (1964), Shibata Ichiro (1965), Yasuno Masatoshi (1967), Seki Shoji (fin des années 60). (La date indique leur début dans la pratique de l'Aïkido). 

J'étais particulièrement attaché à l'enseignement de Yamaguchi Seïgo senseï, et les cours de Endo et de Yasuno senseï me permettaient de prolonger cette pratique. 

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la pratique des maîtres que vous avez côtoyés?

Mon premier cours en janvier 1984 a été celui du Doshu, Ueshiba Kisshomaru. J'avoue pour parler franchement, que je n'ai pas du tout accroché. Quelques années plus tard, je me suis mis a apprécié l'homme et son action. Osawa Kisaburo senseï m’intéressait et la pratique était agréable. L'Aïkido de Tada Hiroshi senseï m'a laissé indifférent, mais ses exercices d'Aïki Taïso m'ont servi, au moins pour l'idée, et l'homme était d'une remarquable attitude aussi bien physique que mentale.  Arikawa Sadateru senseï utilisait des techniques redoutables, paraît-il issues de l'Aïkijutsu. Yamaguchi Seïgo senseï était tout à la fois un expert d'un immense talent, et avait apporté une vision évolutive dans le monde de l'Aïkido. Depuis le début, c'était lui que je suivais, sans y comprendre grand-chose en réalité, à l'instar de pas mal de pratiquants. Sasaki Masando, j'ai fait très peu de cours car, comme beaucoup d'autres, j'ai été gêné par son discours. Watanabe Nobuyuki senseï, j'étais curieux de sa façon de procéder particulière. Ichihashi Norihiko senseï, il avait un Aïkido tout en rondeur, avec des petits cercles. Masuda Seïjuro, son Aïkido était fait de grands mouvements. Endo Seishiro senseï était tout à la fois fluide et puissant, et projetait tout le monde. J'ai beaucoup chuté avec lui. Shibata Ichiro senseï était sans concession, parfois à la limite du brutal. Il se tenait droit comme une stèle. L'Aïkido de Yasuno Masatoshi senseï était dynamique, souple, avec des kokyu nage très profonds, et j'appréciais beaucoup sa pratique. Seki Shoji senseï avait un style très simple, ample, énergique. 

Certains de ces experts, ont été élèves directs d'Osenseï. Chez les plus anciens, il y avait une force d'esprit à la fois tranquille et acérée. Je garde en mémoire quelque chose de chacun d'entre eux, et ils ont tous contribué à ma formation. 

 

 

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Combien de temps êtes-vous resté au Japon?

J'avais l'intention de rester 3 ou 4 ans au Japon, mais finalement, j'y suis resté 9 ans, avec pour activité principale la pratique des arts martiaux à raison d'un minimum de 10 cours par semaine.

 

Vos sentiments au regard du japon ont-ils évolués durant cette période? 

Oui bien sûr. Les 5 premières années, je me sentais vraiment très bien au Japon. Je pratiquais l'Aïkido, étudiais le japonais, donnais quelques cours de français dans des écoles et entreprises, nouais des relations, sillonnais Tokyo en moto. C'était une vie insouciante et légère. 

Plus tard, j'ai commencé à me demander ce que j'allais faire. Rester? Partir ? J'ai commencé à observer la société japonaise, et je me suis aperçu qu'en tant qu'étudiants étrangers, nous jouissions d'une grande liberté par rapport aux japonais. La société japonaise est basé sur le groupe, et non sur l'individualité comme en occident. Si on rentre dans cette société, la pression sociale peut devenir difficile à supporter, et je ne pouvais pas rester étudiant en arts martiaux indéfiniment. Si je restais, il allait falloir vraiment travailler beaucoup plus, au détriment des arts martiaux évidemment, et d'une certaine liberté.

Finalement, après quelques hésitations, j'ai décidé de rentrer. A partir de là, je me suis recentré sur les cours qui m'intéressaient. Je me préparais mentalement avant pour les exploiter au mieux.  Je regardais avec attention les démonstrations de l'expert qui dirigeait le cours. Il faut savoir qu'il y a une grande différence entre voir et regarder. Au début je voyais simplement. Le problème, je crois, c'est que l'on ne peut regarder sans que quelqu'un nous ait déjà enseigné au moins quelques fondements de la technique. Après les cours, je réfléchissais pour améliorer certains points faibles. Je pratiquais aussi vraiment beaucoup d'exercices pour étudier les mouvements du corps dans la journée ou après le dîner, prés d'un temple shinto à 3 minutes à pied de chez moi. 

 

 

Philippe Grangé 03

 

 

Votre opinion sur la technique a-t-elle aussi évoluée ?

Oui bien sûr, mon regard sur la technique a beaucoup changé. Il y a eu plusieurs grandes périodes de remises en question de ma pratique. 

Quand j'ai commencé l'Aïkido en 1972, le niveau général était très bas, mais les enseignants étaient pleins de bonne volonté. Je m'entraînais beaucoup. Nous travaillions vite, comme des moulins à vents, nous tordions les poignets. Nous étions jeunes, sans réelle connaissance. Nous avons appris les formes et à bouger, mais n'importe comment. Ce que dit un ami japonais "nakami ga naï" (il n'y a pas de contenu), se serait bien appliqué à nous. Je me rends compte avec le recul que personne ne savait réellement ce qu'était l'Aïkido. J'étais très loin d'imaginer ce que c'était.

Ensuite, des français sont rentrés de l'Aïkikaï après plusieurs années de pratique et, ont enseignés en tant que professionnels. J'ai senti dès le premier contact que c'était différent. La pression était plus homogène, elle bousculait tout le corps au lieu de tordre simplement les poignets.  Le mouvement partait plus des hanches. Les formes de corps étaient beaucoup plus précises et agréables à regarder. J'ai pratiqué quelques années avec eux. Cela m'a donné vraiment envie d'aller plus loin, et je suis parti vivre au Japon. 

A Tokyo, suivre quotidiennement les cours des plus grands senseïs de l'Aïkido fut formidable. Peu à peu, j'ai acquis plus de puissance, d'endurance, et incontestablement, je progressais. J'étais de plus en plus à l'aise à l'Aïkikaï. Il faut dire que derrière les uchi-deshis qui allaient devenir les futurs maîtres de l'Aïkikaï, (à l'époque: Sugawara, Kobayashi, puis, Hori, Kuribayashi, Kanazawa), je faisais partie d'un groupe d'élèves très motivés qui s'entraînaient plus que la moyenne. Je m'entraînais en Aïkido environ 10 fois, du lundi au samedi. Je me souviens que très souvent quand je n'avais rien à faire, j'allais au dojo même si j'y étais déjà allé dans la journée et que le cours ne m'intéressait pas. Comme pendant 9 ans, j'ai toujours habité près de l'Aïkikaï, c'était la solution de facilité pour tuer l'ennui. Le dimanche, était la seule journée ou je n'allais jamais au dojo.

 

 

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Après environ quatre ans et demi de ce rythme intense mais dépourvu de réflexion, je suis rentré avec deux amis, Christian Foulon et Jean-Yves Bonnamour, dans l'école d'arts martiaux internes chinois de l'expert Taïwano-Japonais Su Dongchen. Nous avons étudié le Xingyi Quan, le Bagua Zhang, et un peu le combat. Puis deux ou trois ans plus tard, le Bagua Taiji Quan. Hormis les enchaînements (katas) de ces trois styles qui sont certes formateurs, il est certain que le plus intéressant avec Su Dongchen, était son enseignement  des mouvements fondamentaux du corps, et de la stratégie martiale.

Il faut savoir qu'en situation de stress, il ne reste souvent pas grand-chose de la répétition de katas et de techniques martiales. Les mouvements qu'enseignait Su Dongchen étaient des mouvements de la vie de tous les jours comme marcher, courir, lancer une balle, nager, lancer un poids, etc…, adaptés à l'art martial. Car ces mouvements inhérents à l'être humain ne sont pas annihilés par une situation différente de celle de l'entraînement. Grâce à Su Dongchen non seulement mon Aïkido s'est amélioré, mais j'ai aussi acquis une compréhension plus large de l'essence des arts martiaux et de l'utilisation du corps. 

A cette époque, nous avons aussi été acceptés par Yamaguchi Seïgo senseï dans un des dojos où il enseignait. Les cours avaient lieu dans un sports center à Nérima, deux samedi par mois. Nous étions au maximum une douzaine de personnes dont Yamashima Takeshi qui habitait à Nérima. Yamaguchi senseï enseignait de  manière un peu plus précise qu'à l'Aïkikaï, et surtout nous pouvions subir ses techniques de nombreuses fois du fait du nombre très réduit de personnes.  A cette occasion nous pouvions mieux apprécier la profondeur de son Aïkido. 

 

Enfin depuis une dizaine d'années, j'ai été sensibilisé par des maîtres japonais et chinois sur un travail du corps très internes et très précis. Ma vision de l'art martial a encore évoluée.  Avant, j'agissais sur l'extérieur de uke pour le déstabiliser. Maintenant, je me focalise sur son intérieur. On dirait bien que la pratique n'a pas de fin. (rires) Quand on reçoit un enseignement de nature radicalement différente, c'est toujours un grand plaisir de se lancer dans la recherche et l'exercice.

 

 

Philippe Grangé 11

 


Qu'en est-il de vos recherches sur le principe Aïki dans l'Aïkido ?

L'Aïkido n'est pas un art de combat. Il est par contre un art de self-défense que tout le monde peut pratiquer, étant donné qu'il ne repose pas sur des capacités physiques exceptionnelles mais sur l'Aïki. L'Aïki est un concept qui comprend l'utilisation de divers domaine comme la stratégie martiale, la biomécanique, la neurophysiologie, et la psychologie pour neutraliser l'agression. L'Aïkido est donc un art martial ou le corps et l'esprit sont intimement liés. 

Les formes et techniques, le rituel, les vêtements de l'Aïkido reflètent parfaitement l'essence de la culture japonaise avec une influence marquée du sabre et de la lance. L'Aïki lui, a une origine chinoise. Il est basé sur le principe du in-yo (en chinois yin-yang), les deux énergies qui se montrent sous des relations d'opposition, de complémentarité, d'interdépendance et d'engendrement. Le in-yo engendre le shiho (les quatre directions cardinales). Dans la culture chinoise, l'équivalent est sixiang (les 4 images). Le shiho engendre le happo (les huit directions : les 4 directions cardinales et les 4 directions inter cardinales). Dans la culture chinoise, l'équivalent est Bagua qui signifie les huit trigrammes, etc...

Pour résumer, nous avons un art martial japonais, l'Aïkido, dont les formes sont de nature éminemment japonaise, mais dont le cœur, le concept Aïki, est d'origine chinoise. Ceci n'est pas surprenant car n'oublions pas que les japonais ont collé leur langue sur l'écriture chinoise en adaptant celle-ci.

L'Aïkido qui revêt une forme ancienne (formes, techniques), repose sur le principe Aïki existant  depuis des temps immémoriaux, mais étonnamment moderne. C'est le paradoxe de l'Aïkido. 

 

 

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Pensez-vous qu'il est nécessaire d'aller pratiquer au Japon ? 

Ce n'est pas nécessaire mais l'Aïkido est japonais, pratiquer avec des japonais est souhaitable si on veut comprendre "l'Esprit et la Technique" de l'Aïkido. Mais il est tout à fait louable de s'en tenir là, cela n'empêche absolument pas de se faire plaisir. Il n'y a dans l'Aïkido aucun impératif. L'Aïkido est fait pour tout le monde, c'est un Budo, ce n'est pas un Bujutsu. 

 

Quelles sont les plus grandes différences dans le lien avec la pratique entre la France et le Japon?

De toute évidence, la pratique au Japon est en général plus naturelle, mois artificielle qu'en France. Et ce n'est pas une question d'ancienneté ou de grade. 

Une anecdote me revient en mémoire. Lors de mon premier séjour en 1981, pendant un cours dirigé par Yamaguchi Seïgo senseï, je suis invité par un jeune japonais, mais qui devais faire près d'une centaine de kilos. Je me suis dis, je vais souffrir. Et là, à ma grand surprise, cet imposant partenaire possédait une technique souple, précise, incroyablement légère, et faisait preuve d'une correction exemplaire. Finalement, la pratique fut un régal. Evidemment, je ne réalisais pas à l'époque que cette personne était un élève de Yamaguchi senseï. 

 

 

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Quelle importance a eu le japon dans votre parcours humain ?

Vivre à l'étranger, quel que soit le pays, nous fait connaître d'autres modes de vie d'autres cultures. Cela nous donne la possibilité de comparer, et nous amène en retour à un autre point de vue sur notre propre culture. 

 

Quelles sont les choses que vous appréciez au Japon? 

La correction des japonais, le respect des personnes et des choses. Leur façon de se tenir, de bouger. La nourriture. L'Aïkido est en conformité avec tout cela puisqu'il émane de cette culture. 

 

Celles que vous n'aimez pas?

Il y en a eu, mais je ne m'en rappelle pas. 

 

 

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Que conseillez-vous aux personnes désireuses de se rendre au Japon? 

Si vous aimez l'Aïkido, il faut aller au Japon au moins une fois. J'avais déjà fait un séjour de 3 semaines à l'Aïkikaï en mai 1981. Lors de ce premier séjour, j'ai beaucoup plus apprécié l'Aikikaï que Tokyo. La capitale japonaise est une immense mégalopole. Le matin quand nous partions il faisait frais, mais dans la journée le thermomètre grimpait, et comme nous passions la journée dehors entre les cours, c'était relativement fatiguant. 

Quand on parle la langue et que l'on a une idée des codes du mode de vie des japonais, Tokyo est une ville très agréable à vivre pour des jeunes gens. Chaque immeuble, chaque sous-sol, chaque étage, chaque terrasse, chaque sous-sol peut receler d'agréables surprises. Mais lors de ce premier séjour, la ville que nous arpentions sous le soleil nous faisait l'effet d'un mur de béton, de verre et d'acier, presque imperméable et de peu d'intérêt. Rien que pour choisir un restaurant, il nous fallait un certain temps.

Je conseillerais donc aux pratiquants de passage à l'Aïkikaï de se faire accompagner au début dans quelques endroits agréables par quelqu'un qui vit à Tokyo, histoire de briser la glace et de prendre des repères. Mais, je pense que le Japon est plus facile d’accès maintenant car plus cosmopolite, et plus tourné vers l'étranger qu'il y a 30 ans. Dans le métro par exemple, les voyageurs peuvent lire les indications qui sont données en caractères latins. Autrefois, presque tout était en japonais. 

C'est vraiment un pays et une culture à découvrir. 

 

 

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Bio-express

 

Philippe Grangé est né en 1957. Débutant l'Aïkido en 1972, il partira vivre au Japon en 1984. Il y étudiera le japonais, et pratiquera intensivement l'Aïkido, en particulier avec Yamaguchi Seïgo senseï. Il pratiquera aussi le Shintaïdo, et les arts internes chinois avec le maître Su Dong-Chen. Philippe Grangé est l'auteur du livre "Le corps Aïki". Il enseigne à Gradignan et dans de nombreux stages. Vous pouvez le retrouver à aikido.artsinternes-phgrange.com.

 

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